Glaces, sucres pour confitures, conserves de poissons… La nouvelle vague de rappels de produits contaminés à l’oxyde d’éthylène (ETO), après celle du sésame et des épices, suscite bien des remous. Depuis la découverte de ce pesticide cancérogène dans de la farine de caroube en provenance de Turquie et dans de la gomme de guar indienne, la liste des produits rappelés ne cesse de s’allonger.
Jusqu’à présent, les autorités sanitaires françaises ont toujours défendu le principe de précaution. Encore le 15 juin dernier, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) demandait aux industriels « de procéder au rappel des lots de matière première non conformes et des produits transformés l’incorporant, et ce quel qu’en soit le taux d’incorporation, conformément à la règlementation européenne ».
À LIRE AUSSI >>> Oxyde d’éthylène : des glaces contaminées en masse
Des dérogations pour les denrées fabriquées avant le 14 juin 2021
Pourtant, la donne a changé depuis quelques jours, à l’initiative de la Commission européenne. C’est Solidaires CCRF & SCL, principale organisation syndicale de la Répression des fraudes, qui a donné l’alerte le 29 juin dernier dans un communiqué de presse intitulé « Oxyde d’éthylène : un rétropédalage dangereux ! ».
Le syndicat évoque « un revirement complet en train d’être effectué dans la plus grande discrétion ». Désormais, les entreprises sont susceptibles de bénéficier de dérogations « au cas par cas » pour toutes les denrées fabriquées avant le 14 juin 2021 intégrant de la gomme de caroube (E410), « si elles ne contiennent pas d’oxyde d’éthylène à des niveaux quantifiables » dans le produit fini.
Des quantités infimes dans le produit fini
La DGCCRF nous confirme ce système de « dérogation provisoire […] pour certains produits finis contenant de la graine de caroube et ne présentant aucun danger pour les consommateurs ».
L’Association des entreprises des glaces (AEG), dont les membres vont donc bénéficier de cette mesure, estime également « infimes » les quantités d’oxyde d’éthylène pouvant se retrouver dans les glaces. La dilution importante de l’E410 permettrait de « considérer le risque sanitaire comme étant très limité ».
Pour autant, Roland Girerd, représentant de Solidaires CCRF & SCL, estime que cela pose problème : « On est en train d’autoriser la vente d’un produit dans lequel un ingrédient contaminé est bien présent. Même si la quantité dans le produit fini est sous le seuil de détection, cela pose question quand on sait que de très nombreux autres produits sont aussi contaminés à l’ETO. »
À DÉCOUVRIR >>> Notre dossier complet sur l’oxyde d’éthylène
Des retraits et rappels suspendus pendant quelques jours
Ce permis de déroger intervient après un cafouillage de quelques jours pendant lesquels les retraits et rappels de produits contenant de la gomme de caroube contaminée ont été suspendus en France « le temps d’arriver à une position harmonisée au niveau communautaire », explique Solidaires CCRF & SCL. « Il n’était plus demandé aux professionnels de détruire à ce stade la marchandise », ajoute l’organisation syndicale.
« Des industriels ont commencé à faire valoir que, dans certains États membres, leurs produits n’étaient pas retirés, sous-entendant que nous étions trop tatillons en France », explique Roland Girerd. Il dénonce « le laisser-faire des autorités européennes ». Certains pays avaient déjà commencé à assouplir les règles de retraits-rappels.
L’aubaine d’une brèche juridique pour les industriels
Surtout, les professionnels s’appuient sur un vide juridique lié aux produits transformés. En cause : une annexe du règlement (CE) 396/2005 concernant les limites maximales applicables aux résidus de pesticides présents dans les denrées alimentaires… qui n’a jamais été publiée.
« Si, dans les matières premières, l’oxyde d’éthylène reste interdit, détaille Solidaires CCRF & SCL, pour les produits transformés, il n’y a rien de scientifiquement et réglementairement solide… » Une brèche dans laquelle certains industriels se sont engouffrés.
À LIRE AUSSI >>> La vaisselle en bambou mélaminé officiellement interdite
Des produits rappelés vont-ils revenir dans les rayons ?
Cette dérogation provisoire sur les denrées contenant de la gomme de caroube comme additif sera-t-elle étendue à celles contenant de la gomme de guar, voire à d’autres ingrédients entrant en faible proportion dans les produits transformés ?
La DGCCRF confirme que des discussions sont actuellement en cours au niveau européen à l’initiative de la Commission européenne. Y est notamment discutée « l’opportunité de faire évoluer les mesures de gestion de l’alerte dans certains cas précis et pour une durée limitée ».
Verra-t-on alors réapparaître dans les rayons des produits rappelés il y a quelques jours ou semaines via le site RappelConso ? Comment le client en sera-t-il informé ? La DGCCRF n’a pas répondu à ces questions.
Tout ceci risque d’embrouiller encore un peu plus l’information des consommateurs dans cette « crise inédite », comme la qualifie Roland Girerd.
Un dispositif de contrôle sous-dimensionné en France
« Les échanges commerciaux sont en hausse, la vente à distance explose, le besoin de garantir l’ordre public économique et la sécurité des consommateurs et consommatrices augmente », souligne Solidaires CCRF & SCL.
Or, le syndicat constate une baisse continue des contrôleurs sur le terrain. De 3 378 agents en 2009, leur nombre est descendu à 2 713 en 2019. Certains départements se retrouvent avec un seul inspecteur. La même politique d’austérité est appliquée sur les effectifs du Service commun des laboratoires (SCL), chargé de l’analyse des contrôles.
Le syndicat s’interroge : plutôt que mobiliser les personnels de la DGCCRF pour « courir » après une multitude de produits disséminés sur l’ensemble du territoire, pourquoi l’Union européenne ne cherche-t-elle pas à durcir drastiquement les contrôles à l’importation de l’ensemble des produits provenant de pays à risques ?
Oxyde d'éthylène : des aliments contaminés mais autorisés - 60 Millions de consommateurs
Read More
No comments:
Post a Comment