On les appelle les « faux aliments » et ils ne devraient jamais finir dans nos assiettes. C'est pourtant le cas, bien qu'on l'ignore. Savez-vous qu'une épice sur deux est frauduleuse en France, qu'un produit bio sur 12 ne l'est pas ou que le thon avarié peut subir des injections chimiques pour retrouver fière allure et être revendu ni vu, ni connu?
C'est ce que nous apprend l'enquête peu appétissante, menée par Ingrid Kragl, directrice de l'ONG Foodwatch France, spécialisée dans la défense des citoyens en matière d'alimentation. La militante a recueilli des témoignages, interrogé les instances, les industriels, décortiqué les chiffres de la répression des fraudes et montre dans le livre « Manger du faux pour de vrai », qui sort ce jeudi, que ces tromperies se retrouvent partout, dans nos frigos, nos placards, dans les restaurants, le magasin du coin.
« Vendre de la nourriture contrefaite, contaminée, illégale, des appellations d'origine protégée qui n'en sont pas, des imitations de grands crus ou des faux pesticides est devenu un business très juteux et il s'est accru avec la crise sanitaire », explique l'autrice, évoquant deux raisons. D'abord, dit-elle, parce que des audits programmés chez les industriels de l'agroalimentaire n'ont pas pu avoir lieu à cause des limitations de déplacements, imposées par la pandémie. Ensuite parce que l'attention des autorités se serait naturellement portée sur les faux produits du Covid, comme les masques, le gel, les compléments alimentaires. « Pendant ce temps, les fraudeurs en ont profité », constate Ingrid Kragl. Contactés, le ministère de l'Agriculture et la répression des fraudes n'ont pas répondu à nos sollicitations.
Un poisson sur deux présenterait des soucis d'hygiène ou des mensonges sur l'étiquette
Le problème n'est pas récent. Alors que la consommation d'épices a bondi de + 35 % ces dix dernières années, une enquête de la répression des fraudes de 2018, montre que le safran présente le plus d'anomalies (81 %) suivi des poivres (59 %). A l'intérieur, parfois du sable pour augmenter le volume ou des allergènes non mentionnés. « Leur présence masquée peut provoquer chez ceux qui y sont allergiques des petites réactions cutanées, de l'asthme ou même des chocs anaphylactiques, même s'ils sont très rares », met en garde le docteur Pierrick Hordé, évoquant un risque pour la santé.
Concernant la volaille, « un professionnel du secteur sur deux triche, notamment sur les labels de qualité », avance Ingrid Kragl. Et, fin 2019, la répression des fraudes avait révélé que 54 % du foie gras contrôlé était non-conforme. L'un des foies d'oie contenait même moins de… 1 % d'ADN de l'animal.
Le poisson ne s'en sort pas mieux. Un sur deux présenterait des soucis d'hygiène, des mensonges sur l'étiquette ou des allergènes non mentionnés en France. Mention spéciale au thon, qui lorsqu'il est avarié, subit parfois un lifting à base d'additifs interdits afin de retrouver une coloration bien rouge. « Dans l'Hexagone, entre avril et juillet 2017, près de 200 personnes sont tombées malades avec des produits espagnols. J'ai trouvé plein d'infos dans la presse hispanique alors que chez nous, on n'en a même pas parlé », poursuit-elle.
«On vend des faux aliments comme on vend des fausses clopes»
Quant au bio, 1 produit sur 12 n'est pas conforme. « Le label biologique est des plus contrôlés au monde, défend Philippe Thomazo, directeur général d'Ecocert, l'organisme de certification leader dans le domaine. En cas de suspicion de fraude, on en informe les autorités compétentes qui décident ensuite des actions à mener pour le marché français. Cela peut être des poursuites judiciaires. » Ces anomalies, « personne ne les nie, rebondit le cardiologue Pierre Souvet, président de l'association santé environnement France. Mais elles peuvent aussi être dues à des contaminations accidentelles si le champ voisin utilise, par exemple des pesticides ou que l'air transporte des substances chimiques venant d'une usine à côté », nuance le médecin, qui encourage à conserver de bonnes habitudes alimentaires. « Une étude a prouvé que ceux qui mangeaient bio avaient -25 % de risque de développer un cancer. »
Mais qui sont les responsables de ces fraudes ? « Dans certains cas, ce commerce est le fruit d'un vaste réseau organisé derrière lequel on retrouve parfois les plus grandes organisations criminelles. Selon la Commission européenne, les pertes pour l'industrie mondiale sont estimées à environ 30 milliards d'euros chaque année, rapporte Ingrid Kragl. Il faut bien comprendre que l'on vend des faux aliments comme on vend des fausses clopes. »
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De son côté, le consommateur ne peut éviter les pièges. C'est bien le problème, ils ne sont pas visibles sur l'étiquette. Sur ce sujet, Foodwatch lance une nouvelle pétition adressée aux autorités, pour demander le nom des marques en question. « On ne parvient jamais à avoir des informations transparentes, déplore Ingrid Kragl. Cette fois-ci, on veut que ce tabou soit levé. »
Poivres, foie gras, thon… ce livre brise le tabou des faux aliments - Le Parisien
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