En employant les mêmes critères qui ont été utilisés pour établir le potentiel addictif de la cigarette, des chercheurs proposent que les aliments industriels ultra transformés devraient également être considérés comme des substances qui créent une dépendance.
Un des grands succès de santé publique des dernières années, mais dont on parle étonnamment très peu, est la baisse spectaculaire du tabagisme chez les jeunes. Les prix exorbitants du tabac, son bannissement des lieux publics et l’apparition de sources alternatives de nicotine comme la cigarette électronique ont collectivement fait en sorte que le pourcentage de jeunes de 15-19 ans qui fumaient quotidiennement la cigarette est passé de 30 % à la fin des années 1990 à seulement 3 % en 2020.
C’est extrêmement encourageant, d’autant plus que la dépendance au tabac commence généralement très tôt, avec 9 fumeurs sur 10 qui débutent à l’adolescence.
En pratique, cela signifie que la prochaine génération d’adultes sera en très grande partie constituée de non-fumeurs et donc beaucoup moins touchée par les problèmes de santé causés par le tabagisme (le cancer du poumon notamment) que les générations précédentes.
- Écoutez l'entrevue avec Richard Béliveau, docteur en biochimie et chroniqueur au Journal de Montréal à l’émission d’Alexandre Moranville-Ouellet diffusée via QUB radio :
CRITÈRES DE DÉPENDANCE
En 1988, le Surgeon General américain publiait un rapport qui montrait hors de tout doute les propriétés addictives du tabac (qui étaient alors démenties par les cigarettiers).(1)
Ce rapport a permis d’établir que quatre critères sont suffisants pour considérer qu’une substance crée une dépendance :
1) elle provoque une consommation compulsive ;
2) elle exerce des effets psychoactifs ;
3) elle encourage une répétition de sa consommation ; et
4) elle crée de fortes envies et des sensations de manque.
Ce rapport a marqué un point tournant de la lutte au tabac, car en prenant clairement conscience pour la première fois du potentiel addictif de la cigarette, l’attitude du public et de la communauté médicale face aux dangers du tabagisme s’est radicalisée et a entraîné une forte réaction de la société afin de réduire le nombre de fumeurs.
UNE AUTRE FORME DE DÉPENDANCE
Un bémol au succès de la baisse radicale du tabagisme est qu’elle s’est accompagnée d’une hausse importante de la prévalence du surpoids et de l’obésité, si bien que les gains obtenus en santé populationnelle par la baisse du nombre de fumeurs sont contrecarrés par une hausse du risque des nombreuses maladies associées à l’excès de graisse.
Les raisons de cette hausse importante de l’obésité sont multiples et complexes, mais il y a consensus voulant que la consommation d’aliments ultra transformés (fast food, collations omniprésentes, aliments préparés), surchargés de gras, de sucre et de sel joue un rôle très important dans ce phénomène.
En appliquant les mêmes critères de la dépendance que ceux utilisés pour le tabac, des chercheurs ont récemment proposé que la surconsommation d’aliments ultra transformés puisse elle aussi faire intervenir une dépendance envers ces substances.(2)
En examinant l’ensemble des études qui se sont penchées sur cette question, le parallèle entre la cigarette et ces aliments est saisissant :
1) Compulsivité : Il est clairement établi que les aliments ultra transformés peuvent provoquer un apport immodéré de calories, même si leur effet désastreux sur la santé est connu de la plupart des gens. Un exemple extrême de ce type de compulsion est la proportion importante (20-50 %) de personnes qui ont subi une chirurgie bariatrique et qui persistent à surconsommer ces aliments, même lorsqu’ils provoquent des symptômes physiques importants (nausées, crampes, vomissements).
2) Effets psychoactifs : Il est connu que toutes les substances addictives activent la production de dopamine au niveau du striatum cérébral. Les études montrent que la combinaison de sucre et de gras présents dans les aliments ultra transformés provoque une hausse de dopamine d’une magnitude similaire à la nicotine.
3) Consommation répétée (renforcement) : Les études montrent que plusieurs personnes, autant les enfants que les adultes, consomment à répétition certains aliments (croustilles, bonbons et biscuits, par exemple) même lorsqu’ils n’ont plus faim.
4) Envies irrésistibles et sensations de manque : Les études montrent que les aliments qui suscitent le plus fréquemment des envies irrésistibles sont tous des aliments ultra transformés et que les zones cérébrales impliquées dans ce phénomène sont similaires à celles d’autres substances addictives.
S’AGIT-IL D’ALIMENTS ?
On dit souvent que la nourriture est essentielle à la vie et, en conséquence, qu’on ne peut pas mettre sur le même pied les drogues et ce que l’on mange.
C’est oublier à quel point les aliments ultra transformés ne sont pas des aliments au sens où on l’entend habituellement. Ce sont plutôt de pures créations industrielles, conçues pour libérer rapidement des quantités anormalement élevées de sucre, de gras et de sel afin de stimuler de façon excessive notre cerveau et d’encourager leur surconsommation à répétition, comme la cigarette l’a été pour la dépendance à la nicotine.
Compte tenu de ce design, il n’est pas étonnant que ces produits puissent être addictifs.
(1) US Department of Health and Human Services (USDHHS). Health consequences of smoking: nicotine addiction. A report of the Surgeon General, 1988.
(2) Gearhardt AN et AG DiFeliceantonio. Highly processed foods can be considered addictive substances based on established scientific criteria. Addiction, publié le 9 novembre 2022.
Les aliments ultra transformés, le tabac du 21e siècle? - Le Journal de Montréal
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