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Friday, January 28, 2022

Insectes, aliments de synthèse : que mangerons-nous dans le futur ? - ELLE France

Scènes ordinaires en 2050 : « Papa ! Maman ! Y a quoi pour dîner ?! » Mmmm… vaste question. Des criquets de synthèse aux champignons ? Des topinambours du balcon, rôtis avec de la ciboulette ? Ou rien… mais alors vraiment rien du tout, désolés, mon petit chou, on a fait n'importe quoi avant que tu arrives. Notre alimentation va et doit profondément changer. On le sait, nous devrions accueillir d'ici moins de trente ans deux milliards d'êtres humains de plus sur terre. Des bouches supplémentaires à nourrir sur une planète qui se réchauffe, où redoux suivis de gelées mettent les cultures en péril, où les sols ont été épuisés par les traitements chimiques et où l'eau pourrait manquer. Dans le même temps, toute une partie de la population mondiale, ayant quitté les villages pour les villes – la moitié de l'humanité est urbaine et ce taux devrait monter à 70 % d'ici à trente ans –, adoptera les mêmes habitudes d'abondance et d'immédiateté, que nous Occidentaux… Bref, il faudra faire plus avec moins. Nous avons demandé à Frédéric Wallet, économiste, chercheur à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae), et auteur de « Manger demain » (collection « Fake or Not », Tana éditions), de nous éclairer sur les quatre scénarios qui nous attendent au frigo…

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Des criquets d'élevage

« Braves gens, dormez tranquilles, la technologie va nous sauver ! » Une antienne répétée avec la foi du charbonnier. Pour nous nourrir, certains misent donc sur les fermes verticales high-tech en ville, où les cultures, sous des LED, ne dépendent pas du soleil et donc des saisons. Des ordinateurs feraient pousser en permanence salades et tomates, qu'on dégusterait ensuite avec de la viande de synthèse, produite « in vitro » en laboratoire, ou avec des insectes, dont le taux de protéines, 75 %, dépasse toutes les espérances. « Je n'y crois pas, assure Frédéric Wallet. Les fermes verticales comme la viande de synthèse demandent énormément d'énergie : le bâtiment, les LED, les ordinateurs… tout cela dégagera aussi beaucoup de chaleur et on aura besoin de climatiseurs. De plus, le coût des surfaces en ville est immense : pour équiper 5 000 mètres carrés de serres, une start-up a déboursé 8 millions d'euros ! Et les légumes à pousse lente, comme le poireau, ou qui prennent de la place, comme les salades, ne pourront pas y être cultivés. En revanche, je crois beaucoup aux insectes. Surtout pour nourrir les animaux d'élevage. L'avenir est aussi aux algues (un nutriment très complet et qui consomme du CO2 !), et aux produits fermentés à base de soja. »

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©KonstantinMaslak/iStock

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Des lasagnes aux faux fromages !    

Alors quoi ? Continuer sur notre lancée, avec de plus en plus de produits ultra-transformés (80 % en grandes surfaces), pas chers, riches en sucres et pauvres en fibres et en minéraux ? « Depuis les années 1950, poursuit le chercheur, nous sommes passés du paysan en polyculture, qui travaille à la main, au mode industriel : tracteurs gigantesques, profusion de produits chimiques, spécialisation. Aujourd’hui, en France, la Bretagne élève des cochons, la Beauce fait du blé, la Picardie des betteraves sucrières, le Rhône du vin et le pourtour méditerranéen du maraîchage. » Cela va plus loin : la Pologne produit des pommes, l’Espagne des oranges sous des mers de serres qui la désertifient, la Chine des sauces tomate… Le tout se retrouve dans la composition des produits transformés, qui ont fait doubler le taux d’obésité de la population française, passé en vingt-cinq ans à 17 %. « Cela a eu un immense succès, assure Frédéric Wallet, la nourriture est accessible partout, tout le temps, mais les coûts environnementaux sont énormes : en moyenne, un produit parcourt 3 350 kilomètres avant d’arriver dans notre assiette ! Un tiers du trafic routier en France est dû à notre alimentation, ainsi que le quart de nos émissions de CO2. Les maladies cardiovasculaires et certains cancers ont explosé. La nouvelle politique agricole commune (PAC), avec la stratégie “De la fourche à la fourchette” pour une alimentation plus saine, a affiché des objectifs ambitieux, mais ils sont très rarement atteints. Après le plan Écophyto de 2008 puis de 2018 pour sortir du glyphosate, on a vu l’usage de pesticides et autres intrants chimiques grimper… » La vente de glyphosate a augmenté de 23 % en 2020. Alors, encore plus de « malbouffe » ? « C’est hélas une possibilité, se désole Frédéric Wallet, avec des conséquences dramatiques pour la biodiversité, pour nos sols, pour notre santé. Et avec une immense dépendance vis-à-vis de l’étranger : on pourra voir, certaines années, des pénuries. Les riches auront de la farine et du pain, les autres devront se contenter de produits de plus en plus nocifs. Il nous faudrait une sécurité sociale alimentaire. »

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Rien 

Le mot avait disparu. Et voilà qu’avec le Covid, il est revenu : « pénurie ». De masques, de tests, de composants électroniques, de bois… Et de blé. À cause des pluies en Europe et de la sécheresse au Canada, le syndicat des fabricants de pâtes alimentaires a demandé un plan d’urgence au gouvernement face à un stock « historiquement faible » et à une hausse des prix de 30 %. « Les traitements chimiques ont appauvri les sols, et les rendements baissent, assure Frédéric Wallet. De plus, nous allons manquer, à l’horizon 2040, de phosphore, l’un des composants majeurs favorisant la pousse des plantes. Enfin, nous allons manquer d’agriculteurs. Ils ne représentent plus que 1,5 % de la population active en 2019 et 50 % d’entre eux vont bientôt partir à la retraite… » Allons-nous avoir faim ? « La France aura toujours de quoi acheter à l’étranger, nous rassure Frédéric Wallet. Mais l’inflation alimentaire est en marche et va durer. À l’échelle mondiale, l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) constate une hausse moyenne de 40 % du prix des denrées alimentaires depuis le Covid. » Près de huit millions de Français souffrent déjà de précarité alimentaire. Les femmes, aux retraites plus faibles, plus souvent à la tête de familles monoparentales pauvres – elles représentent 75 % des bas salaires –, et leurs enfants, en seraient les premières victimes.

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Des légumes de saison

« Il faut cultiver notre jardin. » Cette morale n’a jamais, semble-t-il, été plus à propos. « On doit revenir aux saisons ! continue Frédéric Wallet. Prendre conscience de l’impact de notre alimentation sur la planète ! Il faut se rapprocher des agriculteurs, pour casser ce système où six centrales d’achat (Carrefour, Intermarché, Leclerc…) contrôlent 92 % du marché et des prix. La filière doit être raccourcie, les paysans mieux rémunérés. Nous devons aussi manger moins de viande, car, pour l’essentiel, elle est élevée dans des conditions indignes, nourrie avec des céréales qui contribuent à déforester l’Amazonie, et elle occupe 40 % de nos terres. Végétalisons nos assiettes ! » Et retrouvons la diversité : en un siècle, l’industrialisation de l’agriculture a causé la disparition de 75 % de nos fruits et légumes, et, selon l’Onu, aujourd’hui notre alimentation repose sur seulement 12 plantes et 5 espèces animales. Plus qu’un type de melon au lieu des 73 variétés d’autrefois. Comme quoi, dans ce menu local, il y aura plein de nouveautés ! ?

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©real444/iStock

Focus

Sur la viande de synthèse

« Cela coûte extrêmement cher à produire : à l’heure actuelle, une lamelle de steak de 5  mm d’épaisseur revient à 46 euros… C’est encore très balbutiant, on est loin de passer au stade industriel », selon Frédéric Wallet. Les défenseurs des animaux – trois millions de bêtes sont tuées chaque jour en France – misent pourtant sur cette viande cellulaire, alors que notre consommation devrait augmenter d’un tiers d’ici à 2030 selon la FAO, et que l’élevage représente 18 % de l’émission de gaz à effets de serre et 30 % de l’occupation des sols dans le monde.

Sur les légumineuses

« Avant les années 1950 la majeure partie de nos protéines provenaient de légumineuses, et non de viande, assure le chercheur. Il faut retrouver l’usage des lentilles et autres pois chiches, d’autant que les légumineuses fixent l’azote dans le sol et sont source de nombreux bienfaits pour la biodiversité ! » Aujourd’hui, elles représentent 1 % de notre apport protéinique – un potentiel de développement énorme sur lequel planchent tous les labos de l’agro-industrie. Bientôt, de la pâte à tartiner au pois chiche au petit déjeuner ?

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