Si chacune de ces dimensions peut influencer la santé, aucune ne résume, à elle seule, la « valeur santé » globale des aliments. Pourtant, on entend parfois affirmer que le fait d’être « non ultra-transformé » suffirait à garantir une qualité nutritionnelle favorable à un aliment. D’autres vantent la qualité nutritionnelle, réfutant les dangers de l’ultra-transformation et des additifs. L’effet de « halo » du bio est quant à lui parfois utilisé pour donner une image globalement « santé » à un produit gras, sucré ou salé. Mais même bio, le produit reste gras, sucré ou salé !
Compte tenu de leurs enjeux de santé publique, comment peut-on informer au mieux les consommateurs sur l’ensemble de ces différentes dimensions santé des aliments ? Quels sont, à l’heure actuelle, les indicateurs les plus fiables scientifiquement ?
Nutrition, ultratransformation, contaminations : trois dimensions essentielles
La recherche scientifique a identifié plusieurs dimensions des aliments susceptibles d’influencer la santé.
C’est le cas, en premier lieu, de leur composition nutritionnelle et de leur densité énergétique. Certains nutriments (fibres, protéines, minéraux, vitamines…) sont favorables à la santé, tandis que d’autres (sucres, graisses saturées, sel…) lui sont plutôt défavorables. L’impact délétère d’une alimentation trop énergétique, et trop riche en sel, sucre, acides gras saturés ainsi que pauvre en fibres, en fruits et légumes, légumineuses, sur le risque de plusieurs maladies (cancers, pathologies cardio-vasculaires, obésité, hypertension, diabète de type 2), ainsi que sur la mortalité est aujourd’hui bien documenté.
Parmi les autres dimensions importantes pour la santé, on peut aussi citer leur degré de transformation, et particulièrement le fait d’être « ultra-transformé » (expression désignant les aliments qui ont fait l’objet de multiples processus industriels avec ajouts d’additifs). Enfin, la présence possible de résidus de pesticides utilisés lors de la production peut aussi avoir des conséquences sur la santé.
Les travaux épidémiologiques ont confirmé l’importance de chacune de ces trois dimensions, indépendamment les unes des autres, dans le développement des maladies chroniques. Ainsi, plusieurs études ont démontré que l’effet délétère des aliments ultra-transformés restait significatif, même après ajustement sur la qualité nutritionnelle de l’alimentation.
En miroir, l’effet défavorable de la composition nutritionnelle persiste également indépendamment du niveau de transformation/ultra-transformation : les associations entre le score de qualité nutritionnelle qui sous-tend le Nutri-score et le risque de cancer restent toujours significatives après ajustement sur la part des aliments ultra-transformés dans l’alimentation.
Au final, il apparaît clairement que la composition nutritionnelle et le niveau d’ultra-transformation sont susceptibles d’impacter, chacune et de façon indépendante, le risque de maladies chroniques par des mécanismes spécifiques différents et vraisemblablement de façon complémentaire. Il en est de même, pour le rôle des pesticides, lorsqu’on prend en compte la qualité nutritionnelle du régime alimentaire.
Même si les niveaux de preuve sont variables, le poids de chacune de ces dimensions en termes de risque de maladies chroniques justifie donc pleinement que les consommateurs soient informés de la façon dont chaque aliment se caractérise par rapport à chacune de ces dimensions.
Concrètement, lorsqu’il s’agit de choisir les aliments, les recommandations sont relativement simples : mieux vaut consommer des aliments « non ultra-transformés », en privilégiant ceux qui ont la meilleure composition nutritionnelle. Si l’on souhaite malgré tout consommer un aliment ultra-transformé, là encore mieux vaut privilégier ceux ayant la composition nutritionnelle la plus favorable. Enfin, il vaut mieux privilégier autant que possible les aliments bio (particulièrement pour les aliments végétaux).
Mais comment informer les consommateurs de façon simple et compréhensibles sur ces trois dimensions ?
Informer sur la dimension nutritionnelle
De nombreux comités d’experts nationaux et internationaux, dont l’OMS, ont proposé la mise en place de systèmes d’information nutritionnelle simplifiée sur les emballages des aliments, afin d’aider les consommateurs à identifier d’un coup d’œil la qualité nutritionnelle des aliments et pouvoir comparer les produits entre eux. C’est pour répondre à cette demande que le logo nutritionnel Nutri-score a été conçu (par l’équipe de recherche en épidémiologie nutritionnelle (EREN), une équipe de chercheurs académiques indépendants travaillant pour l’Inserm, l’Inrae, le CNAM et l’Université Paris 13, ndlr).
Officiellement adopté en France, en Belgique, en Allemagne, en Espagne, aux Pays-Bas au Luxembourg et en Suisse, ce logo repose sur un algorithme intégrant les nutriments et éléments dont la consommation a été démontrée comme ayant un impact sur la santé. Ledit algorithme a fait l’objet de multiples études visant à l’évaluer, dans le cadre de grandes cohortes françaises, espagnoles, et dans la cohorte européenne EPIC (réalisée dans 10 pays européens). Toutes ces études ont mis en évidence que la consommation d’aliments moins bien classés par l’algorithme du Nutri-score était prospectivement associée, à un risque accru de maladies chroniques (cancers, maladies cardiovasculaires, gain de poids, syndrome métabolique, etc.) et de mortalité.
De nombreux travaux ont également validé la méthode de calcul du Nutri-score ainsi que son format graphique (logo graduel à cinq couleurs couplées aux lettres de A à E), et son efficacité a elle aussi été démontrée, en accord avec la méthodologie d’évaluation des logos nutritionnels telle que recommandée par l’OMS.
Mais si le Nutri-score renseigne sur le profil nutritionnel global des aliments, comment informer le consommateur sur leurs autres dimensions santé ?
Informer sur le fait qu’un aliment soit ultra-transformé
Durant les dernières décennies, les habitudes alimentaires se sont modifiées. La consommation d’aliments ultra-transformés, en particulier, a beaucoup augmenté : dans de nombreux pays occidentaux, ces aliments contribuent aujourd’hui à plus de la moitié des apports énergétiques. Ils se caractérisent souvent (mais pas toujours) par une qualité nutritionnelle plus faible que les autres, et par la présence d’additifs alimentaires, de composés néoformés (produits durant les processus de transformation) et de composés provenant des emballages et autres matériaux de contact.
Pour évaluer le niveau de transformation des aliments, la classification NOVA a été proposée en 2009 et modifiée en 2016. Elle catégorise les aliments selon 4 groupes, en fonction de leur degré de transformation industrielle : aliments peu ou pas transformés (NOVA1), ingrédients culinaires comme le sucre, le sel, l’huile ou le beurre (NOVA2), aliments transformés (NOVA3), aliments ultra-transformés (NOVA4). De nombreuses études ont mis en évidence des liens entre la consommation d’aliments ultra-transformés selon la classification NOVA4 et un risque accru de différentes pathologies chroniques.
Les dimensions nutritionnelles et ultra-transformation se recouvrent partiellement : les aliments ultra-transformés sont, en moyenne, de moindre qualité nutritionnelle. Cependant, le niveau d’ultra-transformation ne suffit pas à lui seul pour connaître le potentiel effet santé d’un aliment. Parmi les aliments considérés comme « non ultra-transformés » selon NOVA, certains sont effectivement de moins bonne qualité nutritionnelle (riches en graisses saturées, en sucre ou en sel…). C’est par exemple le cas des purs jus de raisin, catégorisés NOVA1 et classés E par Nutri-score (car ils contiennent plus de 160g de sucre par litre). Au total, 19,2 % des aliments NOVA1 sont classés C, 7,4 % D et 3,3 % E par le Nutri-score. Mais à l’inverse, certains produits ultra-transformés peuvent avoir une meilleure qualité nutritionnelle. C’est notamment le cas des compotes de fruits sans sucre ajouté ou des pains de mie complets, classés A par Nutri-score. Une analyse de 220 522 aliments ultra-transformés (NOVA 4) issus de la base de données Open Food Facts (2020) a mis en évidence que si 79 % des aliments ultra-transformés sont classés C, D et E, 13 % se classent en B et 8 % en A.
De fait, la classification NOVA n’intègre pas la variabilité de composition nutritionnelle des produits au sein de chacune de ses catégories. Par exemple, pour les produits ingrédients culinaires (NOVA2), aucune différenciation entre les matières grasses végétales et animales n’est faite, ni même entre les différentes huiles végétales. Ce qui ne permet pas de reconnaître celles dont la composition nutritionnelle est la plus favorable et doit être privilégiée (huile d’olive ou de colza plutôt que tournesol, maïs, arachide, coco, palme, etc.). Cette information est en revanche fournie par le Nutri-score.
On voit bien l’intérêt de croiser plusieurs indicateurs. La France, comme d’autres pays, a d’ailleurs intégré la notion d’aliment ultra-transformé dans ses recommandations nutritionnelles pour la population. Il est proposé d'en limiter la consommation. Malheureusement, l’information sur les produits « ultra-transformés » n’a pas encore été directement transposée au niveau des étiquettes des aliments. Pour diminuer la part des aliments ultra-transformés, on peut conseiller de choisir les aliments qui ont des listes d’ingrédients les plus courtes possibles avec le moins d’additifs ou de substances que le consommateur n’a pas habituellement dans sa cuisine.
Comment informer sur les résidus de pesticides ?
Un nombre croissant d’études (notamment dans le cadre de la cohorte française NutriNet-Santé) observe un moindre risque de pathologies chroniques chez les plus forts consommateurs de bio ou ceux moins exposés aux résidus de pesticides.
Il existe déjà en Europe un logo d’information, le label bio de l’Union européenne, correspondant à un label de qualité certifiant qu’un produit commercialisé est conforme au règlement de l’Union européenne sur l’agriculture biologique, fondé sur l’interdiction des engrais et pesticides de synthèse.
Enfin, il faut retenir qu’en ce qui concerne la présence de résidus de pesticides, le fait qu’un aliment soit issu de l’agriculture biologique ne veut pas dire qu’il soit nécessairement de bonne qualité nutritionnelle. De plus, il peut être bio, mais également ultra-transformé. C’est par exemple le cas des formes bio des pâtes à tartiner, des salades traiteurs, des gâteaux, des saucisses ou des céréales pour le petit-déjeuner… Un biscuit bio contient certes en principe moins de résidus de pesticides, mais sa qualité nutritionnelle restera limitée, et il est le plus souvent ultra-transformé.
Faire évoluer les logos d’information sur les aliments, mais pas n’importe comment
Récemment, plusieurs initiatives visant à combiner dans un seul indicateur au moins deux des dimensions santé des aliments, si ce n’est les trois, ont vu le jour.
Si elles ne peuvent être combinées dans le même algorithme, elles peuvent par contre, être associées sous forme graphique. Il serait par exemple envisageable de rajouter au Nutri-score un bord noir pour les aliments ultra-transformés, tout en faisant figurer à côté, pour les aliments bio, le label officiel correspondant.
De cette façon, le consommateur disposerait, en un coup d’œil, des informations concernant les principales dimensions santé des aliments, toutes importantes à prendre en compte, sans en occulter aucune. Il pourrait ainsi choisir, en connaissance de cause, les aliments qui sont les plus favorables à sa santé: 1) ceux non ultra-transformés (sans bordure noire) en privilégiant les mieux notés par Nutri-Score, 2) si malgré tout pour des raisons de goût, de coût ou de praticité, il souhaite sélectionner un aliment ultra-transformé (avec bordure noir), choisir ceux avec le Nutri-Score le plus favorable, et 3) privilégier dans la mesure du possible les aliments Bio lorsque cette alternative existe (particulièrement pour les aliments végétaux).
Serge Hercberg, Professeur Emérite de Nutrition Université Sorbonne Paris Nord (Paris 13) - Praticien Hospitalier Département de Santé Publique, Hôpital Avicenne (AP-HP), Equipe de Recherche en Epidémiologie Nutritionnelle, U1153 Inserm,Inra,Cnam, Université Sorbonne Paris Nord; Emmanuelle Kesse-Guyot, Directrice de recherche en épidémiologie nutritionnelle, Inrae; Mathilde Touvier, Directrice de l'Equipe de Recherche en Epidémiologie Nutritionnelle, U1153 Inserm,Inra,Cnam, Université Sorbonne Paris Nord, Inserm et Pilar Galan, Médecin nutritionniste, Directrice de Recherche INRAe, Equipe de Recherche en Epidémiologie Nutritionnelle, U1153 Inserm, Université de Paris, Université Sorbonne Paris Nord, Cnam, Inrae
Déclaration d’intérêts
Emmanuelle Kesse-Guyot a reçu des financements publics : de ANR, INRAE, Ademe, Ecophyto, FRM.
Mathilde Touvier a reçu des financements de l'Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale, Inserm (salaire), et, concernant les projets de recherche sur le NutriScore: de la Fondation pour la Recherche Médicale, FRM (ARF201809007046) et de l'Institut National du Cancer, INCa (No 2017-1-PL SHS-01-INSERM ADR 5-1).
Pilar Galan et Serge Hercberg ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
Nutri-score, NOVA, bio… Comment mieux informer sur les effets « santé » des aliments ? - What's up doc
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