Rayons de supermarché © Peter Bond, Unsplash.
Le développement des procédés industriels de transformation des aliments a permis de rendre l’alimentation facile d’accès, variée en toute saison, et pratique pour tous. Cela a abouti à l’augmentation de la part des aliments industriels dans les régimes alimentaires. Ils représentent aujourd’hui plus de 50% en masse des régimes alimentaires des adultes français[1]. Les recherches actuelles s’intéressent en particulier aux aliments dits « ultra-transformés » et aux relations entre leur consommation et la santé. Plusieurs pays, dont la France, ont inscrit la baisse de la consommation des aliments « ultra-transformés » dans leurs politiques publiques. Mais qu’est-ce qui définit un aliment « ultra-transformé » ? Dans le numéro de juin des Cahiers de Nutrition et de Diététique, portés par la Société Française de Nutrition, les scientifiques d’INRAE, de l’Inserm, de Bordeaux Sciences Agro, VAB-Nutrition et MS-Nutrition se sont intéressés aux systèmes de classement des aliments selon leur degré de transformation et notamment à la robustesse du système NOVA sur lequel se base la France pour considérer qu’un aliment est « ultra-transformé ». Les résultats montrent que les critères actuels du système NOVA ne permettent pas de classer les aliments de manière reproductible et non ambigüe. Ce manque de fiabilité pose problème et souligne le besoin de recherches supplémentaires, en raison de l’utilisation croissante du concept d’aliment « ultra-transformé » en recherche et dans les politiques publiques.
Selon la définition de la FAO[2], un système alimentaire durable est un « système alimentaire qui assure la sécurité alimentaire et la couverture des besoins nutritionnels pour tous, de telle sorte que les bases économiques, sociales et environnementales permettant de générer la sécurité alimentaire et la nutrition pour les générations futures ne soient pas compromises ». Cela passe par la maitrise durable des ressources (sols, eau, ressources agricoles), la facilité d’accès (physique, économique, culturelle…), la maitrise des impacts (environnementaux, sociaux, économiques…), la maitrise des attentes liées aux aliments qui sont réparties en trois classes : les besoins, l’acceptabilité des aliments et les préférences (sensorielles, nutritionnelles, sanitaires et de praticité). La transformation des aliments joue un rôle clé pour toutes ces dimensions. Son développement et sa maitrise, notamment par l’industrialisation, a permis de rendre accessible à tous une alimentation variée en toute saison. Ces dernières décennies, la part des aliments industriels et en particulier celle des aliments « ultra-transformés » a augmenté dans les régimes alimentaires car ils répondent aux attentes et modes de vie contemporains. La part des aliments « ultra-transformés » représente 30% en moyenne des apports caloriques quotidiens en France et peut monter jusqu’à 60% dans certains pays occidentaux comme le Royaume-Uni ou les États-Unis. De nombreuses études épidémiologiques, dont celles issues des données de la cohorte Nutrinet-santé[3], ont conclu à des associations entre la consommation d’aliments considérés comme « ultra-transformés » au titre du système NOVA et la santé.
Le casse-tête du classement des aliments transformés
Ce numéro des Cahiers de Nutrition et Diététique publie en premier lieu une revue narrative qui répertorie et analyse neuf systèmes de classification qui proposent de catégoriser les aliments selon leur niveau de transformation. Ces systèmes intègrent différentes dimensions pour évaluer le niveau de transformation des aliments : l’ampleur des changements par rapport à l’état initial, la nature de la transformation, le lieu où a été réalisée la transformation, et son objectif. Il en ressort que si la plupart des systèmes sont décrits avec des règles, ils sont tous complexes à mettre en œuvre et aucun ne propose de classement « officiel » d’aliments qui pourrait servir de standard. De plus, les facteurs pris en compte pour évaluer le niveau de transformation des aliments sont nombreux et différents selon le système utilisé. Il n’y a donc pas de consensus qui se dégage pour catégoriser les aliments selon leur niveau de transformation. Le système NOVA (voir description ci-après), le plus utilisé dans le monde, y compris en France et en Europe, semble également présenter des faiblesses. Par exemple, l’opposition entre procédé traditionnel et industriel est également prise en compte, ce qui peut conduire à certaines incohérences de classement. La torréfaction du café est donnée comme exemple de procédé traditionnel pour les aliments peu ou pas transformés alors qu’elle utilise des températures élevées et génère de nombreux composés néoformés dont certains délétères pour la santé comme le furane. La robustesse du système NOVA a été étudiée dans un second article, initialement publié en anglais dans la revue ‘European Journal of Clinical Nutrition[4]’ et dont ce numéro des Cahiers de Nutrition et Diététique propose une traduction française.
Les failles du système NOVA
Le système de classification NOVA est une classification empirique, basée sur des critères descriptifs, qui propose de répartir les aliments en quatre groupes : les aliments considérés comme pas ou peu transformés (NOVA 1), les ingrédients culinaires (NOVA 2), les aliments considérés comme transformés (NOVA 3) et ceux considérés comme « ultra-transformés » (NOVA 4). La description des groupes se base sur le mode d’obtention des aliments, leur formulation via le nombre d’ingrédients, ainsi que l’origine et la fonction de ceux-ci.
Pour tester la robustesse de NOVA, 170 experts (du monde académique, cliniciens ou professionnels de l’industrie alimentaire) ont classé les aliments issus de deux listes. La première comportait 120 aliments issus du commerce (produits laitiers frais, produits de panification ou plats cuisinés)[5], présentés avec la liste de leurs ingrédients. La seconde liste contenait 111 aliments génériques[6] fréquemment consommés par les français, sans liste d’ingrédients, et issus de toutes les catégories d’aliments. Seuls trois aliments issus du commerce et un aliment générique ont été affectés au même groupe NOVA par tous les évaluateurs. La cohérence des affectations entre évaluateurs, était faible[7] . Parmi les 120 aliments « du commerce », 90 étaient très largement affectés au groupe NOVA4, mais les autres présentaient une plus grande hétérogénéité d’affectation. Parmi les 111 aliments génériques, certains étaient principalement affectés à un seul groupe NOVA (69-79% des attributions), mais les affectations pour 28 aliments étaient réparties entre les quatre groupes NOVA. Au final, les attributions étaient particulièrement hétérogènes pour 25 % des aliments des deux listes. Indiquer aux évaluateurs la liste d’ingrédients des produits ne permettait pas de renforcer la cohérence des affectations entre différents évaluateurs. Ces résultats suggèrent qu’il est nécessaire de développer un système fiable basé sur un algorithme reproductible pour classer les aliments en fonction de leur degré de transformation.
De nombreux pays, dont la France, utilisent le terme « aliments ultra-transformés » dans leurs recommandations nutritionnelles, en se basant sur le système NOVA. Le gouvernement français a fixé un objectif de réduction de 20% la consommation « d’aliments ultra-transformés » [8]. Pourtant, la définition même de ce groupe d’aliments reste imprécise ce qui rend leur identification compliquée. Il parait aujourd’hui nécessaire de développer un système de classification robuste, utilisable par tous et sans ambiguïté pour mieux étudier les liens entre la santé et la transformation des aliments, mieux définir les politiques publiques et mieux informer le consommateur.
[1] Étude INCA3 (2017) de l’Anses – Étude individuelle nationale des consommations alimentaires (https://www.anses.fr/fr/content/inca-3-evolution-des-habitudes-et-modes-de-consommation-de-nouveaux-enjeux-en-mati%C3%A8re-de)
[2] Définition de la FAO – Organisation des Nations Unis pour l’Agriculture et l’Alimentation (2010), reprise dans l’avis 89 du CNA (Conseil National de l’Alimentation).
[3] Coordonnée par l’Inserm, INRAE, l’Université Paris 13 et le CNAM, Nutrinet-Santé est une étude de cohorte réalisée sur une large population d’adultes dont l’objectif est d’étudier les liens entre nutrition et santé. https://etude-nutrinet-sante.fr/
[4] disponible à l’adresse : https://rdcu.be/cJs7G
[5] Exemples de produits issus du commerce donnés avec leur liste d’ingrédient : dessert lacté aux fruits, pain grillé avec pépites de fruits, bœuf bourguignon en plat préparé.
[6] Exemples d’aliments génériques : pommes, œufs, soda…
[7] Le coefficient mesurant la cohérence des classements était de 0,32 pour les aliments « du commerce » et de 0,34 pour les aliments « génériques », alors qu’une cohérence parfaite aurait conduit à un coefficient de 1
[8] Haut Conseil de la Santé publique, Avis relatif aux objectifs de santé publique quantifiés pour la politique nutritionnelle de santé publique (PNNS) 2018-2022.
Transformation des aliments : à la recherche d’un système de classification fiable - Inserm (salle de presse)
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